vendredi 21 octobre 2011

L'Automne des morts.

Dans le précédent épisode, mordu par un vieil homme dans une ruelle d’Hochelaga, je mourais et devenais un zombie alors que mon esprit fantomatique flottait, impuissant, au-dessus de mon corps meurtrier et insensé. Bienvenue dans…


Romero’s Fall of the Dead. Episode 2.[1]

Elle ouvrit la porte et déposa son sac en me criant qu’elle filait chez son amie. « Pas avant d’avoir fait tes devoirs. », répondit inutilement mon esprit silencieux par pur réflexe alors que j’étais bien content qu’elle file loin de cette monstruosité qui, hélas, la suivit d’un pas lent et abruti.

Les escaliers en colimaçon n’ont pas été pensés pour accommoder les zombies, force nous est de l’admettre et c’est une autre preuve que Montréal s’en va su’a bum. Je vis mon corps descendre une marche, perdre l’équilibre et débouler avec une raideur ridicule les escaliers inadaptés. Mon esprit en laisse suivit de haut cette descente grotesque jusqu’au trottoir de ciment.

Ma fille traversait joyeusement la rue Lafontaine et ne fut pas témoin de ce blooper post mortem. Le chien d’un voisin indéterminé, par contre, le fut et le maître, croyant voir un tragique incident vint au secours de mon corps meurtrier au moment où celui-ci se redressait péniblement, le bras droit ayant un angle obscène. Il s’avança en composant le 9-1-1 sur son téléphone cellulaire pour qu’on m’envoie une ambulance et se rapprocha trop près de moi. « Fuyez, vieux cave! », voulais-je hurler. Trop tard. Comme l’homme de la ruelle de la rue Joliette, mon corps s’avança sur le samaritain et lui mordit la carotide.

La pluie froide avait recommencée et tombait doucement sur le voisin étendu sur le sol, le cou giclant un sang chaud que sa main en vain tentait d’interrompre. Cela dura moins longtemps pour lui que pour moi et il fut pris après quelques minutes seulement d’étonnants soubresauts rappelant la danse du bacon venue d’une époque ridicule. Première victime d’Éric le mort-vivant roux.

Quand les ambulanciers arrivèrent, deux hommes hagards couverts de sang erraient au milieu de la rue d’Orléans. L’un au bras désaxé, l’autre au cou ouvert. Vision pathétique. Les ambulanciers, ayant vu pire, s’approchèrent naïvement…  

***

Quelques jours plus tard, partout dans Hochelaga, partout dans Montréal, des dizaines de milliers de morts-vivants arpentaient les rues à la recherche de chair fraîche. Le gouvernement du Québec cherchait des façons d’assurer une coexistence pacifique avec cette population malade alors que le gouvernement fédéral proposait de faire sauter l’île quitte à faire sauter les quelques non-contaminés qui se terraient dans leurs appartements, bien protégés grâce aux escaliers en colimaçon, obstacle insurmontable pour les zombies québécois.

Je vis avec douleur ma fille se faire croquer, puis ma blonde mais pas mon fils, trop occupé à l’intérieur de l’appartement à jouer à Skate II sur X-Box et à chatter sur facebook.

Les téléviseurs allumés dans les pawn shops de la rue Ontario me permettaient de me tenir au courant des derniers développements. J’étais mort et j’aurais du m’en foutre mais ma conscience sociale étant ce qu’elle était, je suivais avec intérêt et un esprit critique les plus récentes informations.

« Vous êtes pas écoeurés d’être caves, bande de morts », avait graffité un graffiteur anonyme sur la devanture de la pharmacie du coin Bourbonnière-Ontario. Les quelques feuilles des grands arbres continuaient à tomber tranquillement mais l’odeur des feuilles mortes était noyée par l’arôme âcre du sang, partout.

Le gouvernement libéral annonça la tenue d’une Commission sur le mieux-vivre-ensemble à huis clos mais dont le rapport serait rendu public s’il n’était pas trop embarrassant pour la classe politique. « Le fait que la moitié de la population soit morte et déambule dans nos rues ne doit pas contribuer à affaiblir le processus démocratique. Il est impératif, pour notre gouvernement, de mettre en place des mesures appropriées face au nouveau défi que nous devons relever collectivement. Et ça, c’est non négociable. »

Une manifestation monstre se tint à la place Émilie-Gamelin pour dénoncer… On se rendit compte qu’en fait il ne s’agissait finalement que de centaines de zombies qui trainaient là par hasard. Mais la journaliste de Mon Topo réussit à poser des questions idiotes à une morte-vivante qui était sur place.

-Êtes-vous satisfaite de la façon dont on vous traite, madame?

« Grrrr!!! » , fit la madame en croquant le caméraman. « Voilà Pierre. », dit la journaliste. « C’est à suivre. »

Mon esprit qui errait toujours au-dessus de mon corps voulait foutre le camp. Je n’en pouvais plus. Julius Grey voulait intenter un recours collectif au nom des morts-vivants contre le mauvais traitement que ceux-ci recevaient. Richard Martineau gueulait contre l’à-plat-ventrisme des dirigeants et demandait qu’on soit plus ferme avec ces zombies qui avaient l’obligation de s’intégrer à la population. « Si je vais chez les zombies, je vais me comporter en zombie. Mais là, ils sont chez nous, il faut qu’ils fassent comme tout le monde. » Heureusement, Claude Picher avait pris sa retraite, il ne commenta rien. « Partir, il faut que je parte. »



[1] C’est quand même très flash.

1 commentaire:

  1. « Vous êtes pas écoeurés d’être caves, bande de morts »

    t'es en feu mon vieux!

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