dimanche 4 novembre 2012

Ce qu’il me faut d’amour.


 
 
Installé au septième étage d’un édifice du centre-ville, appuyé sur le garde-fou, je regarde tout en bas et m’imagine sautant dans le vide en criant youppi! Pour m’écraser sur le toit d’une bagnole. Les témoins expliqueraient :

« Ben, c’est ça, y a sauté pis i s’est écrasé su l’toit du char.

-Avez-vous entendu quelque chose?

-Oui, me semb’ que j’ai entendu youppi.

-Youppi?

-Oui, comme les Expos. »

Mais je ne me jette pas en bas. Je ne me lance pas devant le métro. Je ne me pends pas et je ris et je pleure et je bouffe et je vis.

 

Je ne crois pas en Dieu, je ne comprends pas le monde, tout m’étonne et même si je me lève la nuit parce qu’il y a du bruit, même si j’affronte le regard agressif de l’autre qui se méfie de moi, j’ai peur de tout. Mais je passe à travers tout, comme un fantôme, un passe-muraille.

C’est grâce à elle. Tout est à grâce à elle. Ou tout est de sa faute. Elle me donne exactement ce qu’il me faut d’amour. Pour vivre, pour aimer la vie, pour avoir un sens.

Havre, soleil, ma blonde.

Avant, quand une fille me laissait, je me demandais ce qu’elle avait découvert en moi qui faisait qu’un jour elle ne m’aimait plus… Quoi? Une fois que tu m’as découvert, tu ne devrais pas te tanner.

Je me demande souvent ce qu’elle voit en moi qui fait qu’elle m’aime encore.

(Même pas vrai, je le sais exactement, c’est que je suis trop cool et intelligent et rigolo…)

(Même pas vrai que c’est pas vrai, je me le demande pour vrai.)

Quand tu trouves quelqu’un qui te fait naître à chaque jour, tu dis merci et tu la presses tout contre toi. Merci bébé.

jeudi 26 juillet 2012

Aventures désopilantes: Chapitre V

Chapitre V : Dans lequel nous découvrons la Mitis.



Quand, assis à mon balcon, j’observe la vie de la ruelle et la progression incessante de mes hibiscus, du petit plant de tomates que mon amoureuse cajole ou du laurier dont les feuilles se multiplient, je ne me lasse jamais de chaque détail qui anime ces matins légers. Je prends mon café, caresse mes chats, lis un bouquin ou le journal et je suis bien. Une putain de ruelle d’Hochelaga suffit à assurer mon bien-être. J’y invite mes amis : « Venez, on va s’asseoir sur le balcon. »

Imaginez un instant l’état dans lequel je me trouve, installé sur le perron face à la mer, le vent léger qui m’envoie du sel par la tête, mon espresso et ma clope et vous écrire à vous, lecteurs assidus et enthousiastes. Ca devrait être illégal.  

***

La télé pogne un poste : TVA. C’est un truc pour qu’on reste dehors et qu’on profite de la vie.

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Les nuages s’étendent au loin sur la mer, ils se prennent pour une chaine de montagnes. Peuh! Bande de frais.

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Le Parc de la Rivière Mitis. Ma blonde, ma fille et moi. Le sentier s’enfonce dans la forêt et de petits écriteaux y sont parsemés. Sureau pubescent, impatiente du cap, épinette blanche. Juste des noms bâtards que personne ne comprend.

Nous marchons dans la forêt. On dirait la forêt laurentienne avec ses sapins baumiers et ses érables, ses thuyas, ses quenouilles. On se dirait en Mauricie mais la mer réussit à nous envoyer des effluves. Pas de cocotiers ou de palmiers, j’ai cherché, juste des arbres ben straight. La mer, ici, c’est ça.

On descend un long escalier fait de billots de bois. Long comme celui de l’Oratoire et on aboutit à une grosse roche sur le bord de la rivière. Tout ça pour ça ? Ta gueule, écoute les rapides. Écoute les rapides pis ferme ta gueule.

Et il faut remonter… Je devrais arrêter de fumer, putain. Tiens, une tour d’observation ? Allez, on monte!

A l’intérieur de l’accueil, un petit musée. Musée… Une exposition, disons, mais très éducative. L’écart entre la marée haute et la marée basse s’appelle le marnage. Dans le coin, c’est 4 mètres. 4 mètres de marnage. On en apprend-tu des affaires ?

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Partout, des Dixie Lee. C’est comme un PFK de l’Atlantique. Il y en a en Gaspésie, dans le Bas-Saint-Laurent, au Nouveau-Brunswick. Du poulet pané, des clams panés, des crevettes panées, des pétoncles panés. Les enfants aiment ça. Donnez-nous un fast-food et on vous fout la paix. Évidemment, ils prennent le poulet. Je les déteste.
 
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Padoue est un petit village qui fête ses cent ans du 26 au 29 juillet. Tout petit, une église, une mine de ketchup, fouillez-moi et googlez si vous ne me croyez pas et quelques maisons perdues en montagne. Les organisateurs espèrent 500 personnes. Bon succès!

On a pris une photo sur le perron de l’église et une autre avec la pancarte du centenaire. Bon, on va y aller…


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On a fait des kilomètres et des kilomètres pour se rendre aux Jardins du Saroit à Saint-Gabriel-de-Rimouski. Ma blonde voulait des légumes du terroir. Finalement, ils vendaient des fraises et de la fleur d’ail. On a pris des fraises et de la fleur d’ail… Et les fraises étaient hallucinantes. Petits jardins, certes, mais quels produits!
 
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A la buanderie du camping, ma blonde met le linge dans la sécheuse et on repart faire des courses. En fait, on va chercher le Devoir et des clopes au dépanneur des Boules. Les Boules, je vous jure, c’est vraiment le nom du village. J’aimerais bien rencontrer la fille qui a inspiré ce nom. Bref, on revient à la buanderie et j’attends dans l’auto pendant que ma blonde va chercher le linge.

-Il y a une grosse torche qui a sorti notre linge et mis le sien dans la sécheuse.

-Qu’est-ce que t’as fait ?

-J’ai sorti son linge pis j’ai remis le mien. Pis là, je reste à côté de la sécheuse.

-Qu’est-ce qui te dit que c’est une grosse torche ? Ca peut être un gros cave.

-Pis j’ai laissé son linge en boule. Ca se peux-tu faire ça ?


Ca se peut pas, en effet. On a assez de problèmes, ces temps-ci.








mercredi 25 juillet 2012

Chapitre IV: Aventures désopilantes...

Chapitre IV : Où Aragon nous rejoint.

L’anse est séparée de la mer par un long bras de rochers qui fait que, peu importe la hauteur de la marée ou sa bassesse, les vagues ne viennent pas jusqu’à nous. Les gros moutons blancs dont je vous parlais sont là au large qui frappent cette barrière, obstinés, décidés à entrer comme le loup dans la maison de brique du dernier petit cochon.

Pour rejoindre la mer, il faut marcher. A l’ouest, un phare. Mais un vrai phare dont le faisceau lumineux… putain! Qu’est-ce qu’il fait, le faisceau ? Il pivote? Il tourne? Note à moi-même, revenir sur ce bout de phrase plus tard. Deuxième note à moi-même, je suis en vacances, laisse faire ça.

Bref, d’un pas résolu et vachement séduisant, je me décidai à partir à la conquête du phare lointain. Hop! Profitant une fois de plus de la marée basse, je marchai sur la berge qui, géologiquement parlant, est assez fascinante. Aux cent mètres environ, la couleur des rochers change, passant d’un gris roche standard à ocre puis quasi-bourgogne. Quelquefois, du sable, rarement, puis de longues étendues de pierres stratifiées, mais pas une par-dessus l’autre, les strates, non, non, elles sont à la verticale ou en diagonale, oui, oui. Ma théorie : avec le temps, elles se déplacent, lentement, très lentement, elles sont poussées, soulevées, l’effet de la tectonique des plaques.

Je passai un paquet de chalets où le drapeau du Canada et celui du Québec se côtoient. Et ça, j’haïs ça. Que tu sois fédé, ok, mets ton drapeau du Canada pis c’est ça. Mais quand tu mets les deux, tu dis que tu es content que le Québec soit une province canadienne et ça, ça m’écœure. Une province… beurk!

J’arrivai enfin au phare. Station de recherche Métis-sur-Mer. Gouvernement du Canada. Une barrière bloque l’accès par la route, cadenassée. L’ensemble des fenêtres des bâtiments, quatre au total, est barricadé, des planches peintes en rouge. Fermé. Un hangar de bois surnommé Octave, d’après l’écriteau au-dessus la porte, rappelle que des gens ont vécu, pas seulement travaillé, mais vécu et donné des surnoms à leur hangar, ici. Le gouvernement fédéral a mis la clé sous la porte. Décidément, la recherche…

Je m’installai enfin sur un des rochers qui constitue le long bras protégeant l’anse et je regardai les vagues frapper bruyamment et sans arrêt. Le vent du large sentait bon, j’étais si bien que je me levai et retournai au chalet.

***

Hier, au coucher du soleil, le ciel avait la couleur de la crème glacée à la gomme balloune. L’eau était rose et un des galets que j’ai lancé a fait au moins dix ricochets.

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Le phénomène des campings me dépasse. Cordés les uns contre les autres, VR, tentes-roulottes, petites tentes deux places s’entassent. Les gens sacrifient leur intimité et s’installent pour deux semaines, voire plus, dans ces drôles d’endroits. Je ne comprends pas.

Je ne juge personne et j’y vois même quelque chose de foncièrement sympathique. Peut-être que le monde est écœuré d’être tout seul, écœuré de la banlieue froide, écœuré du voisinage anonyme. Peut-être que le monde est juste quétaine. C’est cool –d’une certaine façon- être quétaine. Trop de proximité pour moi. Là, tout de suite, je suis assis sur la longue galerie d’un chalet entouré d’arbres, installé sur des pilotis, à flanc de falaise. Un petit suisse est venu me voir pendant que j’écrivais. J’entends la mer et les oiseaux.

Trop sauvage pour un terrain de camping. Depuis que je suis levé, j’ai cette phrase d’Aragon avec la voix de Ferré en tête « Est-ce ainsi que les hommes vivent? ».

Je comprends tellement rien à rien.     

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L’adolescence n’est décidément pas une période facile et surtout pas pour les parents. Un enfant de deux mois s’émerveille devant un pouce qui bouge. Un ado de seize ans regarde la mer deux minutes et dit : « Ouain, pis qu’est-ce qu’on fait astheure ? » -Et si on te clouait la langue dans le front ?, que j’ai envie de répondre.



Respire l’air marin. Regarde au loin. Rêve. Voilà ce que je me dis. Oublie cette progéniture déroutante, disons. Viens, ma belle, allons marcher sur la plage.  

mardi 24 juillet 2012

Aventures désopilantes: Chapitre III

Chapitre III : Dans lequel l’auteur lit, rêvasse, rêve et va au lit.

Lire. Tourner les pages d’un livre. Suivre les mots dans l’ordre et les visualiser dans sa tête.

Lever la tête, regarder la mer au loin, la berge tout près. Tendre l’oreille, le cri des mouettes, le vent dans les arbres, les bruits étranges de la forêt. Sentir l’odeur du sel, de l’eau, des arbres, de ma clope qui fume. Prendre une puff et retourner dans le livre.

Je lis Clara et la pénombre de José Carlos Somoza. Acheté usagé à côté du terminus d’autobus de Montréal, il y a de ça trois ans.

Page 246 : Les morts apparaissent quand nous dormons. Notre unique vie éternelle consiste à habiter les rêves des autres.

Je ferme les yeux. Une rivière qui serpente entourée de falaises abruptes. Des montagnes, une montagne au loin dont le sommet est déchiré par une fosse de sable. Une fosse longue et fine qui divise la montagne comme un gâteau qui se fend à la fin de la cuisson. Je crée des décors pour les rêves, yeux fermés, éveillé. Un endroit où pourront vivre les morts.
 

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Mes amis politiques ne lisent pas ces textes, ça ne les intéresse pas. Je reçois des commentaires privés, souvent, de mes autres amis. Mais les gens en politique ont la fâcheuse tendance à se concentrer sur la politique. Mes textes politiques sont les plus lus, les plus commentés, les plus partagés et les moins intéressants. C’est ce que je pense. J’étais très content de la Vieille fille laide, du Clochard et de Grand-Papa. C’est loin d’être mes best-sellers!

Selon moi, ce sont ces textes qui sont les plus politiques. Le sens de la vie, l’amour, la mort, vivre en société, la joie, la musique, la beauté, la solidarité et l’individualité, le rêve. Voilà pour moi des raisons d’agir. Une société qui rêve et qui rit, qui baise et qui se colle, qui pleure et qui aime. C’est pour ça que je milite.


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Mes rides autour de mes yeux se sont formées à force de rire, j’adore rire. L’euphorie est si agréable. Paradoxal tout de même qu’en les regardant, je vois des rigoles pour mes larmes.


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Métis-sur-Mer. Un village avec des maisons qui s’appellent Buttercup et Red House, superbe maison rouge, des maisons comme des manoirs qui longent la côte. Au bout du village, une épicerie qui sent, d’après ma blonde, comme chez une grand-mère. Une petite épicerie grosse comme un dépanneur avec un vivier plein de homards. Quand j’étais petit à Pâques, au Provi-Soir, ils vendaient des poussins. Cinquante cennes pour un poussin, trop cute. On l’achetait, il grossissait et il devait laid. Dehors, le poussin. Eux, ils vendent des homards. Mais pas cinquante cennes. La porte fermait mal et il y avait le bip bip électronique qui n’arrêtait de sonner. Au début, je trouvais ça drôle, je faisais une danse techno sur le bip bip pour faire rigoler ma blonde mais cinq minutes de ce bip bip et j’étais déjà en train de devenir fou.

Métis-sur-Mer, les Anglais avaient les grosses cabanes, les Jardins de Métis, Assle Park. On dira ce qu’on voudra, ils l’ont l’affaire.


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Je m’intègre facilement à cet environnement. Déjà, ma rue de Montréal devient indistincte. L’actualité m’intéresse moins. De toute façon, l’actualité vieillit mal. Ici et maintenant, je n’aime pas ça. Partout et toujours ou nulle part et jamais, je préfère.

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Les vagues frappent les rochers en de gros moutons blancs. Un oiseau passe en criant. Cette nuit, l’orage éclatera, les éclairs éclaireront la noirceur paisible de ce ciel sans lune. Je dormirai en paix.

lundi 23 juillet 2012

Aventures désopilantes, chapitre II


Chapitre II : Dans lequel notre héros échappe ses clopes dans la mer. Désopilant!



Selon le temps qu’il fait, selon la profondeur de l’eau, selon les vagues que produit le vent, selon la position de l’observateur, le bleu de la mer change. La salinité, le degré de pollution, la position du soleil, la quantité de nuages, la nature même du fond marin doivent aussi jouer un rôle. L’environnement. Moi, selon que je sois en forme ou pas, selon ce que je porte, il parait que ça modifie la couleur de mes yeux. Je me demande bien si le bleu de la mer modifie la couleur de mes yeux. Je me demande bien si moi, près de la mer, je modifie aussi son bleu.



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Ô platitude! Je veux chanter tes louanges! Gloire à vous, heures lentes, qui rallongez mes jours. L’ennui et la paresse, l’inaction, le silence, la rêverie oisive. Platitude, sensuelle platitude. Ne rien dire d’intéressant, ne rien faire d’intéressant, ne pas être intéressant et se détourner de soi. Tous les bâillements moroses, je vous accueille à bras ouverts. Venez à moi, discussions ineptes, événements vains, non-événements, j’aspire à toi, platitude, toi, ma compagne, ma muse, mon but.



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Quand la marée est basse, on peut se rendre sur l’île aux crabes, un petit ilot avec cinq conifères dessus et recouvert de carcasses de petits crabes. A voir aller les mouettes, je suspecte qu’elles les pêchent, s’envolent et les laissent tomber sur les rochers de l’ilot où les crabes, malheureux, se fracassent. Ensuite, l’ignoble mouette se régale. Selon la perspective du crabe, c’est atroce, selon celle de la mouette, c’est délicieux. Mais de quoi devrions-nous le plus nous préoccuper ? Du malheur des morts ou du plaisir des vivants ? Moi, je dis fuck les crabes et bon appétit.



Reste que si les crabes pouvaient crier en tombant, ça serait un peu lugubre. Leur silence doit jouer dans ma prise de position pro-mouette.



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Quand la marée est basse aussi et qu’on se promène sur la berge, on voit des Pttt! Pttt! C’est comme des petits geysers. Soit des moules, des coques, des poissons de vase ou encore des crabes, que sais-je ? Tu marches et partout des Pttt! Pttt! Ca, moi, ça m’émeut. Étrangement, je suis toujours ému par ce que je ne saisis pas. Ca doit être pour ça que j’aime la poésie. Pttt! Pttt!



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On est allé s’étendre sur la grève. Ma blonde avait déniché un super spot. Une grosse pierre en angle sur laquelle on pouvait s’appuyer la tête et le cul sur le sable. La marée montait mais on était à dix bons pieds du bord de l’eau. En marchant pour s’y rendre, j’ai mis mes pieds dans l’eau, elle était chaude. Sans doute, parce qu’on est dans une anse et que le soleil pouvait la réchauffer à marée basse. A marée haute, tu regagnes de l’eau de mer et ça refroidit. Deux pas que j’ai faits dans l’eau, deux petits pas, et mes clopes sont tombées sans faire plouf! ni rien. Où sont mes clopes ? Dans l’eau, câlisse.



La marée s’est mise à monter à une vitesse surprenante. Après à peine cinq minutes, on avait le cul dans l’eau et on a du changer de place. Dis donc, ça déconne pas, la marée. On s’est éloigné un peu. Trente pieds de l’eau facile, pour pouvoir lire tranquilles. Il y avait un chien noir fou qui courait après des roches qu’on lançait dans l’eau. Je pensais qu’il était à une petite fille qui jouait avec lui et puis, comme je me suis mis à lancer des roches à mon tour pour les faire ricocher, le chien a quitté la petite fille et est venu nous rejoindre, on était à au moins deux cent pieds.



Si un chien veut que je lance une roche dans la mer pour qu’il la rapporte, j’obéis. C’est plus fort que moi. Une bonne vingtaine de roches que j’ai lancées et il rentrait sa tête dans l’eau en courbant le dos, il ressemblait à un monstre marin, ce chien noir, pour dénicher la roche qu’il rapportait au bord de l’eau. J’ai cherché un morceau de bois, je lui ai lancé, il est parti après et quand il a vu que ça ne coulait pas, il a laissé faire le morceau de bois. « Lance des roches! », ordonnait le chien. Bon. Bon.



On est reparti et on a croisé des gens autour d’un feu qui se parlaient entre eux.



-C’est quand même une plage privée ici.



Ca devait, subtilement, s’adresser à nous. On croyait que l’anse appartenait au domaine mais il semble qu’un bout de plage précis soit à d’autres. On était seuls, on ne dérangeait personne. On était isolés mais il y a fallu qu’on tombe sur des humains. Foutus humains! Avoir su, c’est vers eux que j’aurais lancé mes roches.



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Un feu sur la plage, le soleil vient à peine de se coucher, le vent se lève, le vent du large, ça sent bon, la mer. Et il nous envoie sa puissance en pleine gueule, comme ça, pour rien. Ok, ok, c’est toi, le plus fort. On est entré se coucher.      

dimanche 22 juillet 2012

Les désopilantes aventures du Vilain Rouquin dans la Mitis.

Chapitre I: L'arrivée.


1959. Nous sommes partis de Kamouraska pour monter vers Pohénégamook, puis Rivière-Bleue où il n’y a pas de station d’essence et où nous avons trouvé une espèce de resto infect pour diner. A deux pas du Maine, le Témiscouata. Qui va dans le Témiscouata ? Cabano, Dégelis, Lots-Renversés, Auclair. Un village de montagne, quelques centaines d’habitants. C’est là dans ce trou perdu que mon beau-père a grandi. Sur le rang Saint-Grégoire à Saint-Émile-Auclair, devenu simplement Auclair avec le temps. La famille a quitté pour Montréal. Seule est restée Yolande, 20 ans. 1939-1959. Elle venait de se fiancer. Le cimetière est au milieu d’une côte, une crisse de grosse côte. Une côte que tu montes à côté de ton bicycle. 20 ans. Tu meurs pas à vingt ans. Tu baises, tu te saoules, tu ris. En 59, tu vas danser mais tu meurs pas. Surtout pas dans un trou perdu où personne ne vient jamais te voir. Auclair, c’est le bout du monde.



Mourir à vingt ans au bout du monde, quand même, c’est beau. Moi, je vais mourir tout près et si personne ne vient me voir, c’est qu’ils n’en auront simplement pas envie.



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On a continué. Squatec, Lac-des-Aigles, Esprit-Saint où chaque porte porte un écriteau avec Esprit-Saint ou Saint-Esprit gravé dessus, La Trinité qui fête son soixante-quinzième. J’inverse peut-être des villages. Les lacs sont longs et immenses dans le Témiscouata. Le Lac Pohénégamook, le Lac Témiscouata, le Grand Lac Squatec. Les montagnes sont longues et immenses dans le Témiscouata, ça fait plus penser à l’Estrie qu’au Bas-du-Fleuve. La mer est réapparue vers quatre heures, à Luceville.



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Le chalet vert surplombe l’anse. La vue d’ici est imprenable, ça sent le sel marin. Je préfère le Québec aux Québécois. J’aime pas les Québécois tant que ça, finalement. J’adore le Québec, j’adore ce territoire. Il y a une profonde injustice dans le fait qu’ici, ça soit chez nous. Vous pensez que vous méritez le Québec, vous ? Qu’est-ce que vous avez fait de si extraordinaire pour avoir tout ça ? Du vert, du bleu, de l’eau douce à profusion, la mer, la montagne, des terres grasses et riches, quatre saisons, des forêts à perte de vue, des paysages à couper le souffle. Aucune reconnaissance. Le Québec est trop beau pour nous. Bande d’ingrats.



Ca lit le Journal de Montréal, ça magasine chez Walmart, ça chiale contre les étudiants, ça voterait Charest que je serais pas surpris, ça vote pour le changement mais ça sait pas ce que ça veut.



On est comme Adam et Eve, on vit au Paradis pis on trouve le moyen d’être cons.

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Je me prends souvent à sentir de la nostalgie dans ma façon d’écrire. Dès qu’un instant est passé, je m’attendris dessus. Je relis ma première phrase : 1959, là en haut et je suis submergé d’images. Un nostalgique instantané, voilà ce que je suis.



***  



-Vas-tu publier à tous les jours ou tu vas faire un long texte ?, que me demande ma blonde.



-Je sais pas, je réponds, les pieds dans l’eau salée.



-Madame Demers pourrait te lire à tous les jours et avoir hâte au lendemain.



Je réfléchis une seconde. Plus que ça, ça me fout des migraines.



-Bon, d’abord, je vais retourner au chalet terminer ma journée d’hier.



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Le ciel avait des nuages qui font des formes comme un poisson ou une guitare électrique. On avait vu un escargot aussi avec ses deux antennes. Il y avait de la musique dans l’auto et je me disais que choisir de la musique pour cet univers-là, c’est pas que la petite affaire. Un musicien devrait, après avoir composé sa chanson, l’écouter sur la route, par un jour d’été ensoleillé partiellement nuageux, dans les montagnes près de la mer. Si elle passe le test d’être une bonne trame sonore, tu l’enregistres.



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Quand je suis assis dans le siège du passager, je me regarde souvent dans le miroir latéral, celui dans lequel je suis plus près que je n’en ai l’air. Je peux passer plus de temps à me regarder dans ce miroir que dans n’importe quel autre. Il y a des journées à la maison où je ne me regarde pas. Je ne m’en porte pas plus mal, je suis beau en-dedans.



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Dans le coin de la chambre, une chaise recouverte par un drap blanc. Les portes grincent et s’entrouvrent au moindre courant d’air. Le plancher craque. La nuit, la route 132 toute proche laisse passer une voiture aux heures et il n’y a pas de lampadaire, on marche dans le noir. Le chalet est en retrait, les autres longent la berge, le nôtre, sur deux étages, surplombe l’anse. Je vous l’avais déjà dit, ça, non ? Bref, il y a du matériel pour une histoire de peur. Le truc, c’est de ne pas soulever le drap blanc mais j’avoue que, malgré moi, ça me démange.

mercredi 18 juillet 2012

Plus rien à dire

Évaché sur un hamac à lire un polar, tranquille, le soleil passe à travers les branches de vieux arbres mais ne m’atteint pas. Les enfants jouent dans l’eau du lac, jouent… hurlent, oui!, vos gueules, bande d’enfants de merde! Ma blonde prend du soleil avec une copine, grand bien leur fasse, moi, je suis un homme de l’ombre. Hombre del ombre. Je ne sais même pas si ça se dit de même mais c’est flash.

Ca ressemble au bonheur, ça ne dure pas et ça se savoure à la fois sur le coup et après coup. C’est tout ce que j’avais à dire.

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Vous avez tout dit, sur tout. Vous avez une opinion sur tout. Mes réflexions deviennent superflues, je n’en ai même plus besoin. Vous avez lu l’opinion pertinente d’un chroniqueur politique que vous vous empressez à partager et commenter. Vous avez saisi le bon coup d’un des nôtres, le mauvais coup d’un des leurs. Et vlan! Vous y ajoutez un commentaire ravageur et je vous dis et je me dis que Putain! Je n’aurais pu mieux faire. La vache! Que me reste-t-il ?

Moi, j’ai un hibiscus en feu qui fleurit dix fois par jour, ça vous les coupe ?

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Ne croyez pas que je critique vos commentaires astucieux et allumés, non, non, non. La vérité, c’est que je me croyais original, je croyais que ma structure de pensée était mienne. J’apportais ma pierre à l’édification de la pensée québécoise. Mais voilà, ma pierre a déjà été posée cent fois par cent autres et fous nous la paix avec ta pierre, on en n’a pas besoin. Ah, c’est comme ça ? Dans ces conditions, de quoi est-ce que je peux bien parler si j’ai envie de parler ? Et sur quoi puis-je bien écrire si j’ai envie d’écrire ?

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J’ai peur de devenir misanthrope. J’ai peur du cynisme qui me guette et qui attend que mes idéaux s’affaiblissent. J’ai peur de la peur confortable qui paralyse et par-dessus tout, j’ai peur de moi. Peur de mes Pfff! Peur de mes Peuh! Peur de mes Bah! Je les sens tout près qui veulent me posséder.

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Je n’ai jamais porté le carré rouge. Rien contre le carré rouge mais c’est trop limitatif pour moi. Quoi, afficher à la face du monde que ma cause à moi, c’est être contre la hausse des frais de scolarité ? Non, j’ai trop de causes pour me limiter à ça. Je devrais porter le carré roux : ça inclurait toutes mes causes. Et puis, pourquoi un carré ? M’en fous des carrés, sinon que le périmètre est facile à trouver une fois que tu as la longueur d’un côté. Mes cheveux, tiens. Je porte mes cheveux pour arborer mes causes.

Ca n’a aucun sens mais je m’en fous.

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Dans ta main repose la mienne
Et nous vaincrons ces enfants de chienne.

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Dans ta main repose la mienne et nous vaincrons ces enfants de chienne. J’avais écrit cette phrase au Petit séminaire… Ca n’a jamais fait partie d’un texte, c’était indépendant. Peut-être que je voulais écrire quelque chose de plus long mais que je ne savais simplement pas qui étaient les enfants de chienne en question, je ne le sais d’ailleurs toujours pas. Reste que « les enfants de chienne », ou juste « enfant de chienne », ça frappe. Ca frappe plus que « son of a bitch ». Des fois, les Anglais ont des expressions qui rentrent dans le corps mais quand le français décide d’être une langue dure, paf! Ça en jette.

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Voilà à quoi vous me contraignez avec vos commentaires et vos statuts et vos partages. Vous avez tout dit. Refonte de la carte électorale ? Qu’en penses-tu, Éric ? J’en pense ce que les 214 autres ont écrit et commenté. Aussi bien se taire ou parler d’autre chose. Mais pendant qu’on se parle de même entre amis, pourquoi ces photos de soleil couchant avec une citation de marde, genre sagesse éternelle ? Le bonheur est un ami discret ou Ceux qui t’aiment vraiment te diront que tu as tort ou Les chevaux galopent aussi dans l’ombre de l’arbre séculaire. Bon, j’ai inventé ces trois conneries mais vous voyez l’idée.

La sagesse, de toute façon, est un concept vachement surestimé. Et vous pouvez reprendre ma phrase, la crisser devant un ciel étoilé et la partager pour commentaires profonds.

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Je me demande bien comment on entre dans la brigade anti-émeute. Ils font des campagnes de recrutement internes ou bien il faut en faire la demande ?

Il y a le cours Spécialisation anti-émeute 201 à Nicolet ? Ou on apprend sur le tas ?

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J’ai tellement envie de vivre. J’ai tellement peur de la mort. Je croyais pas que cette pouffe serait de plus en plus présente en vieillissant mais elle vient s’immiscer dans mes pensées à tous les jours, toutes les nuits. C’est fou que la mort soit devenue un enjeu politique, tout de même, avec les trucs de mourir dans la dignité ou de suicide assisté. Pas le droit de tuer personne, pas le droit de mourir comme on veut. Je pense même qu’il y a des règlements sur l’utilisation des cendres.

Je pense que je vas foutre le camp dans le bois, comme Thoreau. Adieu civilisation de marde, je m’isole. Avec ma famille, mes chats, mes livres et mon X-box.

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C’était une pluie chaude et j’étais complètement détrempé. On est-tu ben quand on veut ?

jeudi 28 juin 2012

Grand-Papa



I

Je voudrais des mauvais souvenirs de Grand-Papa. Je voudrais me le rappeler quand il n’était pas du monde, quand il était injuste. Je voudrais me rappeler la fois où j’aurais été accusé d’avoir brisé quelque chose à quoi il tenait et qu’il m’aurait grondé pour se rendre compte plus tard que ce n’était pas moi. Ce souvenir n’existe pas parce que ce n’est pas arrivé.

Je n’ai retenu du passage de mes grands-parents dans ma vie que de bons souvenirs, de beaux souvenirs. C’est pas bon, ça. Je voudrais qu’on m’hypnotise et qu’on trouve des bibittes et ensuite, je casserais la gueule de Messmer s’il me disait quoi que ce soit de négatif sur mon Grand-Papa, ce salaud. « Qu’est-ce que t’as dit, Messmer de marde ? »

Une fois avec Grand-Maman, on était assis dans le salon, elle sur le divan tout au bout et moi dans la chaise de Grand-Papa, j’avais 23, 24 ans, et je lui ai demandé des trucs, j’ai posé toutes les questions indiscrètes que je pouvais poser. Elle m’a parlé de ses défauts, de ses habitudes, elle m’a même parlé de cul. Elle pleurait tellement, Grand-Maman, que son Gabriel lui ait été pris. Elle s’ennuyait tellement, ça l’a prenait et elle se déchirait sous nos yeux. Moi, je voudrais qu’une femme m’aime comme ma Grand-Maman aimait mon Grand-Papa. C’est peut-être ça, mon mauvais souvenir finalement. La peine qu’il a faite à Germaine en mourant le premier. Je suis quelqu’un de tellement égoïste que moi aussi, je veux mourir en premier. Et je suis sûr au fond de moi que si Grand-Papa avait su qu’il aurait fait autant souffrir son amoureuse en mourant comme ça, il se serait arrangé pour mourir le dernier. En tout cas, il aurait essayé.

 II

Il y a quelques années, peut-être six ou sept, peut-être même huit, le temps passe si vite, j’ai appelé à l’Hôtel de Ville de Thetford Mines. J’ai demandé le service de toponymie. « On n’a pas de service de toponymie», que je me suis fait répondre. « Bon, c’est qui qui s’occupe de nommer les rues ? ». On aura compris que ma curiosité me poussait à savoir quand avait été nommée la rue du Docteur Gabriel Couture. « C’est le Conseil. »

En soi, c’était intéressant. Des échevins et le maire qui se disent : « Il faudrait nommer une rue au nom du bon docteur Couture. » Alors, je demande : « Savez-vous en quelle année on a nommé la rue en hommage à mon grand-père ? » Et j’imaginais un groupe de Sages se pencher sur l’importante question de la toponymie. La dame m’a dit qu’elle allait me rappeler. Deux jours plus tard, de fait, la dame rappela. Je pense qu’elle m’a dit : « C’était en 1957 », ou peut-être plus tôt, je l’avais écrit sur un papier que j’ai jeté depuis. « Mon grand-père n’était pas échevin à cette époque-là ? », moi, je demande. « Oui, oui, c’était une habitude à l’époque de se donner des noms de rue. » Ah? Merci.

-          Eh! Gabriel, tu voudrais une rue à ton nom?
-          Non, non, c’est pas nécessaire.
-          Allons, Gaby. Tu le mérites bien.
-          Je ne voterai pas là-dessus.
-          T’as pas besoin, on est tous favorables.

Ca m’a cassé les couilles, cet appel-là. Je voulais qu’elle me dise : « Évidemment, le Docteur Gabriel Couture, écoutez Thetford Mines n’existerait pas sans son apport. Un personnage historique, monsieur. »

Et moi, j’aurais jubilé de plaisir, rougi de fierté. Quelle emmerdeuse, cette dame!

III

Couture. Je me suis longtemps demandé si j’aimais mon nom de famille. Couture. Quand on chantait Les rapides du Saint-Laurent, on se levait à « Les coutures sont faites de racines » et, macho direz-vous, moi, j’aurais préféré qu’on chante « Les Couture sont faits de racines. » Au masculin. Pis la couture, vous me direz que la couture est le point d’union entre deux tissus. Ca unit, une couture. Ben, je m’en fous. La couture, ça manque de virilité. J’avais un ami à l’école qui s’appelait Laterreur. Woh. Laterreur! Ca, ça en impose. Attention, voilà Laterreur, planquez-vous! Et moi en arrière avec un fil pis une aiguille comme nom de famille.

J’ai appris plus tard que l’origine de notre patronyme venait de coulture, pas cousture, comme Arlette, mais coulture comme culture. Et que ça n’avait rien à voir avec la culture générale mais avec la terre. Un cultivateur. Je sais que Guillaume, notre aïeul à tous, était apothicaire en Normandie avant de se pointer en Nouvelle-France mais il faut croire qu’il descendait lui-même d’un cultivateur. Bref, Couture.

Finalement, c’est mon Grand-Papa qui m’a donné la fierté de mon nom. Je porte Couture parce que je suis fils de Richard, petit-fils de Gabriel. Je porte mon nom comme un drapeau, avec déférence et fierté. Je porte mon nom en héritage, il m’enracine.
IV

On était assis dans la cuisine. Grand-Maman lavait la vaisselle, Grand-Papa était assis à la table. C’était l’automne 1986. Je me berçais à côté de la radio, Grand-Papa lisait le journal. J’avais 20 ans mais le souvenir est flou et ça me fait drôlement chier, je voudrais que tout soit clair, je voudrais qu’on m’hypnotise pour que je puisse le raconter dans le sens du monde, ce souvenir, mais non, du con, il me manque plein de bouts. A quel moment j’ai quitté la chaise berçante et je me suis installé près de Grand-Papa, je ne m’en rappelle pas. A quel moment il s’est mis à chanter, yeux bleu clair comme la Mer des Caraïbes, et ce qu’il a chanté, je n’en ai pas souvenir. Je me rappelle que j’éprouvais plein de tendresse et que je me sentais privilégié.

Je me rappelle que Grand-Maman l’écoutait en pleurant et qu’elle lui a dit après une quinzaine de minutes : « Arrête, Gabriel, tu vas te fatiguer. »

Je me rappelle que quelques mois après sa mort, elle m’a dit que ça avait été la dernière fois qu’il avait chanté. Et sa voix me manque encore.

V

Le mariage de Matante Louise. J’étais accompagné par une amie, Geneviève qui s’est plus tard mariée à Antoine Robitaille pour la petite histoire. Nous étions dehors au Château Bonne-Entente quand il est arrivé. Le Patriarche. Là, ce jour-là, alors qu’il sortait de la voiture, j’ai senti profondément en moi qu’il était plus que mon grand-père, il y avait chez lui quelque chose de monumental. Il était fort dans sa maladie à qui il disait : « Fais ce que tu veux demain mais aujourd’hui je marie ma fille. » Ca rendait humble et fier. Ca ajoutait une dimension à une célébration de l’amour, dans le fond.

Ses yeux étaient si bleus, son regard si déterminé, sa présence si forte. C’était plus qu’un père qui mariait sa fille, c’était un homme qui avait parié avec la mort et gagné. Je n’ai plus jamais réussi à le tutoyer après ça.

VI

Ca devait être en 1978 ou 1979, plutôt 1978. On habitait à Saint-Jean-Chrysostôme. Plutôt 79, finalement. On avait fait l’acquisition d’un berger allemand. Je crois qu’il y avait de l’husky aussi. Un beau chiot. Grand-Papa était venu à la maison, il ne venait pas souvent mais là, il était venu avec sa trousse de vétérinaire pour vacciner mon chien. Flic. Je dis mon chien, mais c’était le chien de toute la famille sauf plus à moi, na. C’est moi qui jouait avec et c’est moi qui ne ramassait pas sa marde.

Sa trousse. La trousse. Celle qui m’intriguait tellement. Il l’a piqué dans l’entrée et il a rempli des papiers. Il a même mis son stéthoscope sur son cœur. Mon grand-père, le vétérinaire en action. Ce jour-là, Grand-Papa est devenu mon héros. Il était le Docteur Doolittle et j’imaginais plein d’histoires avec lui sauvant des animaux. Peut-être 78, j’hésite.

VII

« Pocheton ». Trois petites tapes sur la cuisse et « Pocheton ». C’était ses marques d’affection. Je le sais même pas ce que ça veut dire « Pocheton ». Petite poche ? Il m’avait vu tout nu ou quoi? Oui, je sais qu’il m’avait vu tout nu mais quoi ? tu peux pas me traiter de petite poche parce qu’à trois ans, j’avais un petit scrotum. Hé! Ca se développe une poche!

Ca se disait sans « e » comme « Poch’ton » et ça ne m’insultait pas, j’aimais même ça, ça voulait dire « je suis content d’être avec toi. » trois tapes sur la cuisse, « poch’ton. », c’était un code. Comme avec l’Ordre de Jacques-Cartier, comme avec les Chevaliers de Colomb. Mon grand-père était un homme de codes.

Et je reconnais que j’ai peut-être une petite poche mais on en revient.

VIII

Avertissement

Je ne veux pas me faire corriger. Je ne veux pas savoir si ce que j’écris est vrai ou faux. Il y a de ces impressions, de ces images mentales imprégnées, qu’on préserve et dont la beauté nous réjouit. On se fait raconter des trucs, on remplit les trous, on altère l’histoire et ça crée les légendes, les épopées. Qu’un schtroumpf à lunettes quelconque vienne nous dire « c’est pas comme ça que ça s’est passé » et on n’est pas content. Vous croyez qu’Homère a raconté la Guerre de Troie en ne colorant pas un petit peu?  Et l’Ancien Testament, vous croyez qu’il n’y a pas eu de légers embellissements ?

J’ai mes histoires avec Grand-Papa qui appartiennent un peu au réel un peu au conte. Je vous les partage mais faites pas chier à me corriger, j’y tiens comme ça. A moins que vous ne vouliez les embellir à votre tour… Là, je deviens ouvert à la négociation.


Légendes

Le cercueil est installé au centre de l’église. Odilon et ses fils sont assis à la première rangée, silencieux. Des enfants tout propres, bien habillés qui comprennent mal la marde dans laquelle ils se trouvent. Odilon travaille là où il y a du travail et il n’a jamais eu à prendre soin des enfants. Le petit Gabriel pleure sa maman qui dort dans la boite, morte. Ce que ça veut dire exactement, il ne le comprend pas tout à fait. « Tu ne reverras jamais plus ta maman. », il sait que c’est long mais c’est combien de temps au juste « jamais plus »?

Sa tante Mabel vient le voir, elle s’assoit près de lui, lui caresse les cheveux. Petit homme, il pleure sans bruit. « Tu veux venir habiter avec nous ? » Il regarde le cercueil, il regarde sa tante. Il fait oui.

Ils sortent ensemble de l’église, elle lui tient la main, lui s’accroche à la sienne comme à une bouée. Il a perdu sa maman et il a gagné une nouvelle famille.

***

Une autre église. Le village de Lambton surplombe le grand lac. Du haut du presbytère, on voit jusqu’à la Rivière Sauvage, on voit les montagnes tout autour, le cœur des Appalaches. Il fait chaud, le ciel est sans nuage. Il faut refaire la toiture. Gabriel a un pinceau à la main et les choses avancent bien. On s’habitue à l’angle et on prend confiance. Il s’étire et s’éponge le front en sueur. Il sent qu’il a perdu pied, il cambre son dos et balaie l’air avec ses bras en sachant que ça va faire mal. Un petit cri de surprise, les autres autour de lui le voit perdre l’équilibre. « Gabriel ! »

Et il tombe, les yeux ouverts regardant le ciel, un petit instant. Compter un puis deux. Le choc de la terre. Conscient, incapable de bouger, il git sur l’herbe du cimetière et attend. Il s’est peut-être dit qu’il mourrait, peut-être pas. Pour avoir mal, ça, il a mal mais il n’a pas peur. L’herbe est fraiche, le ciel est bleu, il a toute la vie devant lui. La cause était bonne. Il regrette sa négligence, il aurait du faire plus attention, il est un beau maudit, au fond mais il se tait pendant que les autres l’entourent, consternés.

Bah! Il ne mourra pas aujourd’hui et il sait qu’il sera dorénavant celui qui est tombé de haut. On racontera sa mésaventure, on lui demandera des détails. Étendu dans l’herbe, souffrant le martyre, il se promet que ce n’est pas pour ça, cette chute stupide, qu’on se rappellera de Gabriel Couture.

***
La lune est haute dans le ciel et se reflète sur la neige qui tombe à gros flocons. Les collines et les vallées entourant la Chaudière sont d’un blanc immaculé dans cette nuit sans vent.

Dans ce calme hivernal, un étrange véhicule à la fois sous-marin, à la fois motoneige et à la fois avion de chasse brise la froide monotonie de février. A bord de cet étrange monoplace, le Docteur Couture sillonne la Beauce à la rescousse d’animaux en péril.

Cette nuit, une vache vêlera et le petit, arrivant par le bassin, voué à une mort certaine, coincé dans le ventre qui lui avait donné la vie, sera sauvé grâce au secours généreux de Gabriel et sa Gabmobile.

IX

Minogami, 1987, il y a vingt-cinq ans. J’étais moniteur explorateur –les explos étant les 10 à 13 ans-, on était parti camper de l’autre côté du lac avec notre dizaine de jeunes. Une fois installés sur le site, on s’est fait un feu et on a préparé le diner du groupe. Puis vers 1h00, dans les environs, le ciel devint noir. Un vent d’une force surprenante se leva, puis la pluie, forte et dense comme un rideau. Les éléments se déchainaient et la nature nous montrait sa vigueur. J’étais séduit.

Il y avait une grosse roche comme un promontoire sur le bord de la plage et je me rappelle que je suis monté dessus, les bras en croix, plus comme un savant fou que comme un dévot, accueillant la tempête et je trippais, je trippais, la pluie qui me tombait dessus avec rage et le vent qui bousculait, qui arrachait des arbres… Une demi-heure, facile, planté à m’émerveiller devant cette tempête majestueuse. Puis tout a cessé. Le ciel est redevenu bleu, l’eau sur le lac s’est remise à miroiter, je suis retourné vers ma tente pour me changer et là, j’ai entendu le bruit d’un bateau à moteur. On n’utilisait jamais de bateau à moteur à Mino. C’était Émile, mon vieux pote et accessoirement mon patron qui arrivait sur le site. Il a marché vers moi, l’air dramatique. Putain, qu’est-ce que j’avais fait encore ? « Éric, ton grand-père est mort. »

Je suis monté dans le chaloupe à moteur, je pleurais comme un bébé, à gros sanglots, il me tenait dans ses bras, Émile, comme quand on console un enfant. En arrivant au camp, j’ai vu des arbres abattus par la tempête et littéralement une petite rivière entre le ravitaillement et la cafétéria, deux moniteurs déconnaient en canot sur cette rivière éphémère qu’avait laissée la pluie.

J’ai toujours depuis associé ces deux événements : cette tempête mémorable dont on parle encore vingt-cinq ans plus tard à Minogami et la mort de Grand-Papa, survenue à peu près au moment où le soleil est réapparu. Tout ça, je sais, n’a sans doute rien à voir. Mais ça reste mon expérience mystique la plus intense, la plus insaisissable, l’au revoir de Grand-Papa.

Dans l’autobus, en direction de Québec, je regardais le soleil sur les Laurentides et j’écoutais La Mort de Siegfried de Wagner. Tout était beau et grand et triste.

X

Allez, bravons de toutes nos forces les rapides du Saint-Laurent!

dimanche 3 juin 2012

Pôvres libéraux.

Clope, café, chat qui traîne à côté, soleil qui éclaire la ruelle mais qui me laisse la zone d’ombre sur le petit balcon, de la marde, j’écris.

Je vous ai-tu déjà dit que j’haïs les conservateurs ? Dix fois ? vingt fois ? M’en câlisse, les hais plus que jamais, ces salauds. Mais je leur reconnais une chose à ces osties-là, ils ont une vision de leur pays. Que leur vision au plus riche, la poche, tant pis pour les petits pauvres me donne la nausée, que leur conservatisme burkéen pour reprendre l’expression de Harper est contraire à tout ce que je crois, on s’entend. Mais ils ont une vision claire, effroyable mais claire.

Les libéraux fédéraux, eux, ont déjà eu une idée du Canada, bilingual coast to côte. Un gouvernement central fort… Même chose pour le NPD, un gouvernement central qui met en place de beaux et généreux programmes sociaux, un Canada hip et cool.

Bref, les fédéralistes à Ottawa, je comprends et je peux voir où ils s’en vont. Je me disais ça, hier soir, évaché sur le divan en regardant les nouvelles.

La beauté attendrissante de la contestation pacifique, le sourire gai et un peu idiot d’enfants qui trouvent vachement chouette d’aller frapper avec maman et papa et plein de gentils monsieurs et madames des casseroles dans la rue. Et tous ces gens, ces milliers de gens, des vieux, des jeunes, des barbus, des rasés, des belles filles, des laideronnes, des ptits nerds, des types à belle gueule, tous ces gens qui marchent en plein milieu de la rue, c’est la fête.

Et c’est pour ça, parce que les fédés à Ottawa ont chacun leur projet, leur idée du Canada, parce que chez nous, tous les soirs, il y une solidarité émouvante, que j’en arrive à plaindre Charest pis sa gang. Sincèrement, je plains les libéraux québécois. Je les plains parce qu’il se passe quelque chose au Québec et qu’ils en sont complètement exclus.

Bien sûr, il y a les déconnectés, ceux qui réussissent comme par magie à éviter toutes les sources d’information, radio, télé, journal, médias électroniques, il y a des gens qui passent à travers les filets et qui vivent leur petite vie en passant à côté de la vie des autres, aveugles. Ignorants.

Mais les libéraux de Jean Charest, eux, ils s’abreuvent comme nous aux mêmes sources d’informations, ils voient ce qu’on voit. Et ils s’en excluent.

Ils pourraient s’en exclure pour une bonne raison, ils auraient, disons, un beau projet, une idée pour le Québec. Même pas, pas d’idée, juste du fric. Seuls avec des rêves de fric, ils se parlent entre eux. Ils n’ont pas accès à la rue, pas accès à la joyeuse indignation, pas accès à un rêve collectif.

Les indépendantistes rêvent d’un pays, les libéraux veulent administrer une province. Peut-être pour certains, bien administrer la province, soit. Mais on s’entend que c’est pas la jubilation. On se fait des cadeaux entre amis et quand tu quitteras le Conseil des ministres, j’ai une bonne job pour toi. J’ai des plans pour toi, mon chum. Le Plan Nord, c’est ça ton projet de société ? Vendre le territoire frette à des compagnies étrangères pour des pinottes. Pis à part ça, qu’est-ce que tu veux faire ? Qu’est-ce que tu fais en politique ? Tu recrutes comment ? Viens avec nous autres, on va vendre le nord, on va faire plaisir à plein de gentils riches et quand tu sortiras de là, tu vas te faire du cash en masse. Pis en plus, on va empêcher les séparatistes de prendre le pouvoir, ces osties-là qui veulent faire un pays.

Mais t’as même pas besoin d’être indépendantiste, c’est pas comme si les seuls qui avaient des convictions politiques, c’était nous autres. Il y en a un paquet qui se foutent du statut constitutionnel du Québec, ils voient le monde et veulent qu’il soit plus beau, plus fin, plus juste… « If you’re going to San Francisco, be sure to wear some flowers in your hair.”

Mais pas les libéraux, les libéraux de Charest pensent en termes de richesse collective et ce collectif, c’est surtout eux et leurs potes. Mais pas de rêves pour tous. C’est triste. Triste en crisse. Et je les plains.

Comptant son fric, sirotant un petit armagnac au bras d’une blonde de vingt-cinq ans aux grosses boules, dans sa limousine en direction d’une petite sauterie à Sagard ou vers un yacht sur le Lac Champlain, le notable libéral se demande bien quel peut être le sens de sa vie, il prend une petite gorgée qui lui réchauffe le palais et dit à Cathy, la monosyllabique : « Qu’est-ce que t’attends pour sucer, ma belle ?  Parce que là, tout de suite, avec tout ce qui se passe, j’ai comme un down, on est vachement à plaindre, tu sais. » Et Cathy, en souriant, s’exécute.