mercredi 21 septembre 2011

Rêveries d’un promeneur solitaire

Je crois que je vais entrer l’hibiscus. Depuis qu’on a entré l’autre, il a recommencé à fleurir. J’adore les hibiscus, c’est une plante généreuse. De l’art éphémère, on dirait. Faut que j’aille au vidéo reporter Mon nom est personne. Je voulais le regarder avec mon fils. Mais il n’était qu’en anglais. Je l’ai regardé seul pendant qu’Étienne taponnait sur facebook, ils peuvent passer des heures sur facebook, ils commentent les pics des autres à coup de XD, de lol et de : ), ça fait des bonhommes sourires, des cœurs et des clins d’œil. J’aime pas ces trucs, je leur dis à mes enfants qu’il faut sentir dans les mots l’expression recherchée. « Je me suis rentré au balai dans le cul joke. » Ca passe mal.

Ma ruelle est belle, en fait, c’est une ruelle ben ordinaire, mais je trouve ça beau. L’an dernier, je fumais une clope dehors tranquille quand un groupe s’est arrêté juste à côté de chez moi, un cours d’introduction à la flore urbaine ou je ne sais quoi. Il y a plein de chats qui traînent, pas beaucoup d’enfants mais beaucoup de chats. Dont les deux miens. Chopin ne va jamais loin, pas sûr qu’il l’aime, la ruelle. Schubert est toujours parti, c’est embêtant quand on passe par la ruelle parce que s’il nous voit, il se met à nous suivre, ce crétin. Et je veux pas qu’il s’éloigne trop.

Quand on arrive au bout de notre ruelle, il y en a une deuxième, un raccourci entre la rue Bourbonnière et la rue D’Orléans. C’est l’arrière-cour de petits commerces du quartier. Quelques fois, pas souvent, mais quelques fois, on tombe sur un mec qui se prépare un fixe, adossé contre la porte d’un garage que je n’ai jamais vu ouverte. Les fois où je l’ai croisé, ma présence n’a pas semblé le déranger. J’ai jamais vu d’aiguilles ou de cochonneries trainées dans ce coin-là, de toute façon. Une fois, j’ai vu un condom par terre dans ma ruelle. C’est à peu près ça.

Je me retourne pour m’assurer que Schubert ne m’a pas vu, je tourne à gauche. Il y a un graffiti sur le mur FLICS PORCS ASSASSINS. Je déteste les tags mais j’ai toujours aimé les graffitis. Je me demande bien qui a pu écrire ça. C’est un message ou une petite provocation d’ado rebelle? Quand j’étais ado, on a eu un berger allemand qui s’appelait Flic, un beau chien. Les Américains ont fait du grabuge avec Rodney King, les Anglais détruisent tout suite à l’affaire Mark Duggan. Nous, on est pas comme ça. Il y a bien eu des manifestations suite à la mort de Freddy Villanueva mais pas l’ampleur de Los Angeles ou de Londres. FLICS PORCS ASSASSINS, je cherche le contexte. C’était peut-être suite à la mort de l’itinérant et du cycliste ? Je ne me rappelle même pas de leur nom et Dieu sait que ça m’avait indigné. J’ai l’indignation brève.


Il y a cette maison, presqu’au coin Bourbonnière-Ontario avec de la terre en avant, pas de gazon. Il y a un bébé dans une chaise berçante et sa mère qui le regarde. Ca coûte combien de la tourbe ? Ou des semences de pelouse? Bah! Le bébé a l’air bien. Mes enfants ont tellement grandi : quand je regarde les photos, j’éprouve toujours le même deuil de l’enfance de mes enfants. Le petit Étienne de quatre ans me manque, Émilie à cinq ans, quand elle s’est mise à parler, elle jacassait non non tout le temps, tout le temps. Faites la taire. Ca me manque. Dans mon salon, il y a la main d’Émilie de trois ans dans le plâtre, ils avaient fait ça à la garderie, c’est mon objet le plus précieux. Ca, ma chaîne et ma roche.

Je traverse Ontario. Devant le Pharmaprix, il y a un jeune itinérant. Je l’aime bien, ce jeune. Je lui refile une clope ou de la monnaie. Il y a  les yeux tendres et il dit merci. Il est là avec son chien, au moins la moitié d’entre eux ont des chiens. Mais comment ils les nourrissent, ils quêtent pour du Docteur Ballard?

La Place Valois. Un bon resto français, une boulangerie extraordinaire, un saucissier, on n’est plus dans Hochelaga, on est dans Homa. Un snack bar ferme, on ouvre un resto de cuisine française avec moelle et foie gras, truffe et pignon. C’est pas pensé pour les pauvres du coin. A terme, ils vont nous débarrasser des pauvres et Hochelaga deviendra le nouveau Plateau. Je me prends un double espresso court, ma machine est brisée, c’est le petit joint en caoutchouc, faut faire réparer ça. A la table d’à côté, il y a deux mecs qui se parlent en anglais. Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici? C’est quoi là. Le West Island, Outremont, Westmount, Ville-Mont-Royal, Saint-Léonard. Mais foutez le camp d’Hochelaga. Ici, c’est en français. Les enfants de la loi 101, mon cul. Montréal s’anglicise. Tout le monde s’en fout, à part Mario Beaulieu et Patrick Bourgeois. J’aime pas ces gens-là. Ils me mettent mal à l’aise. Sans doute parce qu’officiellement, ils sont de mon bord. J’aime quand les gens obtus, les xénophobes sont mes adversaires, pas mes partenaires. 

Il y a cet itinérant, un violoniste, c’est un Anglais mais il parle toujours français avec un accent. T’es là, tu marches et puis t’entends le huitième caprice de Paganini ou le deuxième mouvement de l’Été de Vivaldi, l’Orage. C’est beau, tellement beau. Tu le regardes, le visage couvert d’éraflures ou d’ecchymoses, comme s’il s’était fait tabasser, les bras marqués. Il joue pour sa coke. Tu lui as demandé, il t’a répondu. Il joue bien, tu déposes deux dollars, ça les vaut. Bon trip. Une fois, je donnais de la monnaie à un itinérant pis il y a un couple dans la cinquantaine qui commence à insulter le type parce qu’il quêtait. On le défend, quand même et ils se mettent à nous donner de la marde. Je veux bien qu’on soit en crisse contre la misère mais contre les miséreux ? Il y a toujours des limites.

Patates et Ciboulettes, c’est un petit restaurant qui fait des pommes de terre au four garnies. J’y suis arrêté quelques fois pour les macarons… miam… mais des patates au four, je peux m’en faire. Je voudrais juste pas qu’ils ferment. Je ne suis pas un client, alors, quand ils fermeront, s’ils ferment, ce sera aussi de ma faute. Tu peux pas souhaiter quelque chose et ne rien faire pour que ça se réalise pour te plaindre ensuite que ça ne s’est pas fait. 

J’’arrive au Vidéotron, je dépose mon film dans la boîte. « Bon film » que je dis au commis. Je sais qu’il s’en fout, il me sourit et dit merci. Je fais le tour du comptoir et ressors.

« Il n’y a plus personne qui nous fait frissonner », m’a dit ma blonde. Marois, Legault, Amir… Je me suis promis de la faire frissonner, j’ai déjà le titre : Discours à frissons. J’ai juste pas l’idée. Ca va me venir, ça finit toujours par venir. J’ai repris ma route. J’ai continué sur la ruelle pour aller m’acheter des clopes chez Diane. C’est le dépanneur près de chez moi. Quand j’entre, elle dit Bonjour Eric et me demande si je prends le Devoir. Quand il y d’autres clients, qu’elle dise mon nom me rend fier. Je suis un habitué, moi. On me connait ici. C’est chez moi.

Il y a cet autre graffiti qui dit JE M’EMMERDE, je l’aime bien, j’ai toujours envie d’écrire en dessous : TU NOUS EMMERDES AUSSI. Ce serait rigolo. Ca ferait bien sourire quelqu’un qui le verrait.


Dans ma poche, j’ai ma roche. Je l’ai ramassé il y a plus d’un an dans la ruelle, je la garde toujours sur moi. Un bout d’Hochelaga. Hochelaga avec des voisins qui mettent « J’ai un amour qui ne veut pas mourir » dans le fond en plein cœur de l’après-midi, avec des chats dans les ruelles, des cafés tendances, des petits bums, des quêteux. Hochelaga, Montréal, Québec. Chez nous. Plus haut, les condos, plus bas, les putes. Dans le milieu, ma blonde, mes enfants et moi.

Quand on fera l’indépendance, j’ai bien hâte de voir le party qu’il va y avoir ici. C’est là que je veux être.

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