dimanche 25 septembre 2011

Annonce cruelle en ce dimanche matin

Le coeur sur l’enclume, l’oeil fixant un point sans intérêt que mon cerveau n’enregistre pas, dépité, je touche mes touches de clavier avec délicatesse. Il faut bien que je me lance.

Je ne briguerai pas la chefferie du Bloc Québécois.

Un silence estomaqué : le lecteur trahi relit ma phrase précédente, La phrase, amer.

Comme l’amoureux éconduit qui se fait dire par la belle : « soyons amis, veux-tu? », je devine que tu ne me liras plus qu’à demi, inattentif, attendant que la corvée de lire ces mots s’achève au plus vite pour foutre le camp dans tes terres, panser tes plaies, seul.

De mon côté, j’aurai beau dire n’importe quoi, justifier intelligemment ma décision, rien n’y fera. Blessé, on perd de sa rationalité. Je sais, j’y suis passé.

Mais qu’importe que tu ne m’écoutes pas! Je dois te le dire. Je ne suis pas le Messie du mouvement indépendantiste et je peux comprendre que tu as pu y croire… moi-même, quelques fois, je me suis pris à penser que peut-être, en effet…

Charismatique, spirituel, idéaliste, convaincu… Un gars d’équipe.

Mais soyons pragmatiques. Ce qu’il faut au Bloc, c’est un médecin. Nous avons besoin de quelqu’un qui saura diagnostiquer les bobos, guérir le moribond, prescrire les bons médicaments, entreprendre la physio. C’est pas moi, ça.

Alors voilà. Je te fais l’honneur, triste lecteur, de te présenter en exclusivité mon discours de non-candidature.



SEUL LE TEXTE LU FAIT FOI

Mes très chers amis,

Éric! Éric! Éric!

S’il-vous-plaît…

Éric, Éric, Éric!

Non vraiment, c’est pas nécessaire.

On veut Éric! On veut Éric!

Mes amis, mes amis, s’il-vous-plaît, accordez-moi une minute d’attention. Les derniers mois ont été difficiles pour le mouvement souverainiste québécois. A l’échelle planétaire, il y a peut-être Kadhafi et sa famille qui en ont arraché plus que vous et je ne vois pas qui d’autres…

(Une voix dans la salle : Les petits Africains qui crèvent de faim?)

D’accord, la famine en Afrique n’est pas facile non plus mais au moins, eux, ils ne font pas parler d’eux à tous les jours dans les médias. Bref, et je vous demanderai de limiter vos interventions, pour nous, franchement, les derniers mois relèvent du cauchemar.

Déchirés sur la place publique, ridiculisés, salis, discrédités, honnis, nous avons été à la fois victimes du cynisme ambiant et porteurs de ce cynisme. Les indépendantistes ont vu leurs espoirs de former le prochain gouvernement du Québec fondre comme neige sur le soleil –je sais qu’on dit neige au soleil, mais sur le soleil, il fait plus chaud encore.

La défaite du Bloc Québécois a été le catalyseur du désintérêt pour notre cause. Elle en a été l’affirmation nationale. Paniqués, nous avons vu partir des figures emblématiques du Parti Québécois, nous avons entendu des propositions saugrenues telles que nommer des ministres issus de l’Opposition, par exemple. Nous avons eu droit à la naissance d’un Nouveau mouvement pour le Québec, de l’Option nationale, et combien encore de ces groupuscules apparaîtront-ils, j’en tremble déjà.

Consultations publiques à gogo, dénégations ridicules à la « jusqu’ici, tout va bien », on a passé un été de marde.

Au Bloc, les candidats les plus intéressants, hormis moi, ont tous annoncé qu’il ne briguerait pas la chefferie. C’est ce qu’à mon tour, je fais.

Non! Non! Non!

Je sais, mes amis, mais écoutez-moi! Mon heure n’est pas arrivé. Plus tard, je ne dis pas, mais maintenant, je ne peux pas.

Les mois et les années à venir ne seront pas rigolos. Nous aurons besoin, non pas de repenser le Bloc mais de reconstruire son organisation. J’entends des niaiseries comme « il faut s’éloigner du PQ » par une candidate dont je tairai le nom mais dont je dirai seulement qu’elle a toujours eu toutes les misères du monde à s’approcher du Bloc et dont un ami me disait ce bon mot : « Elle, si elle n’existait pas, il ne faudrait pas l’inventer. » J’entends ça et je sais que je ne pourrai pas rivaliser de démagogie, d’obséquiosité, de ridicule. Me présenter serait stimuler l’image du déchirement parmi nos forces. Or, sans les idées dans les débats, il reste l’organisation. Il nous faut un chef qui remontera les associations de comté, remplira les coffres du parti et qui sera prêt à laisser sa place à un leader pour la prochaine bataille, un chef de transition.

Au cours des dernières années, j’ai consacré mon imagination, mes efforts, mon temps au Bloc Québécois, et j’ai lutté avec vous pour notre cause commune.

Dans cette ère de « nouveau », de « changement » où un slogan comme « Pour un nouveau changement citoyen avec le Bloc » pognerait à mort, je n’ai pas ma place.

Quand on voudra se lever debout, quand on voudra envoyer promener la connerie et le cynisme, quand on présentera des idées parce qu’elles sont bonnes plutôt que parce qu’elles plaisent et qu’elles paient, je serai là. Je reviendrai. D’ici là, mes amis, avec tout mon amour, je vous emmerde et je rentre dans ma maison!

1 commentaire: