vendredi 23 septembre 2011

Mots jetés à la face du public.

«Un pot de peinture jeté à la face du public »
Camille Mauclair

   « Ah ! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d'excréments, vous l'auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l'exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies. »
Charles Baudelaire





Je la réveillai au milieu de la nuit bien malgré moi. Ses pieds ne trouvant pas les miens, sa main ne touchant pas la mienne, mon absence trop bruyante troubla son sommeil et elle se leva.

-Qu’est-ce que tu fais là?, me demanda-t-elle en sortant de la chambre.

Répondre que je regardais une entrevue avec Michel Rivard sur ses habitudes de lecture à 2h15 le matin ne me parut pas approprié. J’éteignis la télévision, m’excusai et allai la rejoindre dans le lit. Chopin le chat obèse me sauta sur le ventre en ronronnant et la nuit reprit ses droits.


C’est comme le cri de Munsch.


***


J’ai écrit un paquet de phrases, des centaines, des milliers, que ma touche backspace a fait disparaître. Une fois, j’ai même écrit, je crois, les deux premiers actes d’une pièce sans sauvegarder. Mon beau-frère a coupé le courant et j’ai tout perdu. J’ai repris depuis le départ mais pas avec les mêmes mots, pas avec les mêmes pensées, pas avec la même spontanéité, j’ai repris, c’est tout.


Quelqu’un quelque part a peut-être réécrit mes mots disparus. Ou peut-être pas. Peut-être qu’ils attendent simplement de sortir des limbes des mots non-dits.


Être si près puis disparaître.


***


Il y avait ce jeu sur la console X-Box où il fallait conduire une voiture à grande vitesse. Je rigolais avec ma fille en écrasant des vaches pixellisées plutôt que de faire les missions du jeu. Mon fils vient s’asseoir et me regarde faire.


-Arrête d’écraser les vaches, qu’il me dit.


-Pourquoi?


-J’aime pas ça.


-C’est pas des vraies vaches.


-J’aime pas ça.


Ca me dit qu’il a un bon fond, ce garçon. J’ai fait attention aux vaches ensuite.


***
 

Les mots.
Et de toutes les langues.
Mais les mots.


Je connais beaucoup de mots et il en va de ceux-ci comme du goût et des couleurs qu’un abruti nous a dit de ne pas discuter. On présume que les mots ont la même signification pour tous comme on croit que le goût de la carotte est le même pour chacun, que le rouge apparaît de la même façon. Or, si je dis « arbre », notre cerveau se fera une image mentale d’un arbre. J’ajoute « mort » pour faire « arbre mort » et une nouvelle image se dessine. J’inscris cette expression dans une phrase : « Je devrais couper l’arbre mort devant la maison. » Je ne précise pas de forme à la maison ni d’espèce particulière pour l’arbre, je ne parle ni de ciel nuageux, ni de saison, ni de l’heure ou du jour, ni de l’endroit où je suis, ni si l’herbe est verte. Le lecteur comblera le vide et donnera un sens, une vie, à cette phrase autre peut-être que ce que je voulais moi-même lui donner.


On lit un roman et on crée nos personnages, leurs visages avec -ou malgré-  les indications de l’auteur et notre imaginaire.


Il en va de même pour celui qui écrit. Si vous écrivez « ma rue est tranquille ce soir », vous avez une image impliquant votre rue et votre définition de la tranquillité.


On peut dire, à cet égard, que les mots limitent la communication et multiplient les concepts.


Intéressant, non ?[1]


***


L’art éphémère. Des dessins à la craie faits avant l’orage. Une phrase jetée après l’amour. Une sculpture de glace sur une plage en été.


Vente de fermeture. Tout doit disparaître.


T’inquiète pas. Tout disparaîtra de toute façon.


***

Si la majorité silencieuse se mettait à parler, on lui dirait : « Fermez vos gueules, pauvres cons ! » Moi, le premier.
 

***
 

L’écriture, c’est la consignation. Je regarde par la fenêtre, je vois un escalier en colimaçon. Cette image ne résistera pas au temps, je l’écris et je la conserve.


J’ai lu L’Idiot de Dostoïevski en 1986. Le Parc Crémazie à Québec, il faisait beau, un banc public. J’ai lu Docteur Faustus de Thomas Mann sur l’Ile d’Orléans en 1989. En 1990, pendant le trajet entre Cabourg et Caen, j’ai lu Napoléon Bonaparte d’Alexandre Dumas. 2001, Pilgrim de Timothy Findley à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. En 1983, dans la cour de Pascale Boutin, j’ai lu Illusions ou le Messie récalcitrant de Richard Bach. Et je peux jouer à ce jeu pendant des pages et des pages. (Pendant plutôt    que sur, faire des pages une mesure temporelle plutôt que spatiale…).


Mes lectures, les belles, du moins, sont des balises qui m’ont permis de conserver des images autrement disparues. La lecture, c’est la consignation.


***
 

Le principal avantage pour le Québec à être un pays, c’est être. C’est sans doute le principal obstacle. C’est épeurant tout de même.
 

***







[1] C’est la première partie d’un texte que j’avais déjà écrit. La seule, à mon sens, digne d’intérêt.

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