dimanche 22 juillet 2012

Les désopilantes aventures du Vilain Rouquin dans la Mitis.

Chapitre I: L'arrivée.


1959. Nous sommes partis de Kamouraska pour monter vers Pohénégamook, puis Rivière-Bleue où il n’y a pas de station d’essence et où nous avons trouvé une espèce de resto infect pour diner. A deux pas du Maine, le Témiscouata. Qui va dans le Témiscouata ? Cabano, Dégelis, Lots-Renversés, Auclair. Un village de montagne, quelques centaines d’habitants. C’est là dans ce trou perdu que mon beau-père a grandi. Sur le rang Saint-Grégoire à Saint-Émile-Auclair, devenu simplement Auclair avec le temps. La famille a quitté pour Montréal. Seule est restée Yolande, 20 ans. 1939-1959. Elle venait de se fiancer. Le cimetière est au milieu d’une côte, une crisse de grosse côte. Une côte que tu montes à côté de ton bicycle. 20 ans. Tu meurs pas à vingt ans. Tu baises, tu te saoules, tu ris. En 59, tu vas danser mais tu meurs pas. Surtout pas dans un trou perdu où personne ne vient jamais te voir. Auclair, c’est le bout du monde.



Mourir à vingt ans au bout du monde, quand même, c’est beau. Moi, je vais mourir tout près et si personne ne vient me voir, c’est qu’ils n’en auront simplement pas envie.



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On a continué. Squatec, Lac-des-Aigles, Esprit-Saint où chaque porte porte un écriteau avec Esprit-Saint ou Saint-Esprit gravé dessus, La Trinité qui fête son soixante-quinzième. J’inverse peut-être des villages. Les lacs sont longs et immenses dans le Témiscouata. Le Lac Pohénégamook, le Lac Témiscouata, le Grand Lac Squatec. Les montagnes sont longues et immenses dans le Témiscouata, ça fait plus penser à l’Estrie qu’au Bas-du-Fleuve. La mer est réapparue vers quatre heures, à Luceville.



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Le chalet vert surplombe l’anse. La vue d’ici est imprenable, ça sent le sel marin. Je préfère le Québec aux Québécois. J’aime pas les Québécois tant que ça, finalement. J’adore le Québec, j’adore ce territoire. Il y a une profonde injustice dans le fait qu’ici, ça soit chez nous. Vous pensez que vous méritez le Québec, vous ? Qu’est-ce que vous avez fait de si extraordinaire pour avoir tout ça ? Du vert, du bleu, de l’eau douce à profusion, la mer, la montagne, des terres grasses et riches, quatre saisons, des forêts à perte de vue, des paysages à couper le souffle. Aucune reconnaissance. Le Québec est trop beau pour nous. Bande d’ingrats.



Ca lit le Journal de Montréal, ça magasine chez Walmart, ça chiale contre les étudiants, ça voterait Charest que je serais pas surpris, ça vote pour le changement mais ça sait pas ce que ça veut.



On est comme Adam et Eve, on vit au Paradis pis on trouve le moyen d’être cons.

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Je me prends souvent à sentir de la nostalgie dans ma façon d’écrire. Dès qu’un instant est passé, je m’attendris dessus. Je relis ma première phrase : 1959, là en haut et je suis submergé d’images. Un nostalgique instantané, voilà ce que je suis.



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-Vas-tu publier à tous les jours ou tu vas faire un long texte ?, que me demande ma blonde.



-Je sais pas, je réponds, les pieds dans l’eau salée.



-Madame Demers pourrait te lire à tous les jours et avoir hâte au lendemain.



Je réfléchis une seconde. Plus que ça, ça me fout des migraines.



-Bon, d’abord, je vais retourner au chalet terminer ma journée d’hier.



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Le ciel avait des nuages qui font des formes comme un poisson ou une guitare électrique. On avait vu un escargot aussi avec ses deux antennes. Il y avait de la musique dans l’auto et je me disais que choisir de la musique pour cet univers-là, c’est pas que la petite affaire. Un musicien devrait, après avoir composé sa chanson, l’écouter sur la route, par un jour d’été ensoleillé partiellement nuageux, dans les montagnes près de la mer. Si elle passe le test d’être une bonne trame sonore, tu l’enregistres.



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Quand je suis assis dans le siège du passager, je me regarde souvent dans le miroir latéral, celui dans lequel je suis plus près que je n’en ai l’air. Je peux passer plus de temps à me regarder dans ce miroir que dans n’importe quel autre. Il y a des journées à la maison où je ne me regarde pas. Je ne m’en porte pas plus mal, je suis beau en-dedans.



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Dans le coin de la chambre, une chaise recouverte par un drap blanc. Les portes grincent et s’entrouvrent au moindre courant d’air. Le plancher craque. La nuit, la route 132 toute proche laisse passer une voiture aux heures et il n’y a pas de lampadaire, on marche dans le noir. Le chalet est en retrait, les autres longent la berge, le nôtre, sur deux étages, surplombe l’anse. Je vous l’avais déjà dit, ça, non ? Bref, il y a du matériel pour une histoire de peur. Le truc, c’est de ne pas soulever le drap blanc mais j’avoue que, malgré moi, ça me démange.

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