jeudi 28 juin 2012

Grand-Papa



I

Je voudrais des mauvais souvenirs de Grand-Papa. Je voudrais me le rappeler quand il n’était pas du monde, quand il était injuste. Je voudrais me rappeler la fois où j’aurais été accusé d’avoir brisé quelque chose à quoi il tenait et qu’il m’aurait grondé pour se rendre compte plus tard que ce n’était pas moi. Ce souvenir n’existe pas parce que ce n’est pas arrivé.

Je n’ai retenu du passage de mes grands-parents dans ma vie que de bons souvenirs, de beaux souvenirs. C’est pas bon, ça. Je voudrais qu’on m’hypnotise et qu’on trouve des bibittes et ensuite, je casserais la gueule de Messmer s’il me disait quoi que ce soit de négatif sur mon Grand-Papa, ce salaud. « Qu’est-ce que t’as dit, Messmer de marde ? »

Une fois avec Grand-Maman, on était assis dans le salon, elle sur le divan tout au bout et moi dans la chaise de Grand-Papa, j’avais 23, 24 ans, et je lui ai demandé des trucs, j’ai posé toutes les questions indiscrètes que je pouvais poser. Elle m’a parlé de ses défauts, de ses habitudes, elle m’a même parlé de cul. Elle pleurait tellement, Grand-Maman, que son Gabriel lui ait été pris. Elle s’ennuyait tellement, ça l’a prenait et elle se déchirait sous nos yeux. Moi, je voudrais qu’une femme m’aime comme ma Grand-Maman aimait mon Grand-Papa. C’est peut-être ça, mon mauvais souvenir finalement. La peine qu’il a faite à Germaine en mourant le premier. Je suis quelqu’un de tellement égoïste que moi aussi, je veux mourir en premier. Et je suis sûr au fond de moi que si Grand-Papa avait su qu’il aurait fait autant souffrir son amoureuse en mourant comme ça, il se serait arrangé pour mourir le dernier. En tout cas, il aurait essayé.

 II

Il y a quelques années, peut-être six ou sept, peut-être même huit, le temps passe si vite, j’ai appelé à l’Hôtel de Ville de Thetford Mines. J’ai demandé le service de toponymie. « On n’a pas de service de toponymie», que je me suis fait répondre. « Bon, c’est qui qui s’occupe de nommer les rues ? ». On aura compris que ma curiosité me poussait à savoir quand avait été nommée la rue du Docteur Gabriel Couture. « C’est le Conseil. »

En soi, c’était intéressant. Des échevins et le maire qui se disent : « Il faudrait nommer une rue au nom du bon docteur Couture. » Alors, je demande : « Savez-vous en quelle année on a nommé la rue en hommage à mon grand-père ? » Et j’imaginais un groupe de Sages se pencher sur l’importante question de la toponymie. La dame m’a dit qu’elle allait me rappeler. Deux jours plus tard, de fait, la dame rappela. Je pense qu’elle m’a dit : « C’était en 1957 », ou peut-être plus tôt, je l’avais écrit sur un papier que j’ai jeté depuis. « Mon grand-père n’était pas échevin à cette époque-là ? », moi, je demande. « Oui, oui, c’était une habitude à l’époque de se donner des noms de rue. » Ah? Merci.

-          Eh! Gabriel, tu voudrais une rue à ton nom?
-          Non, non, c’est pas nécessaire.
-          Allons, Gaby. Tu le mérites bien.
-          Je ne voterai pas là-dessus.
-          T’as pas besoin, on est tous favorables.

Ca m’a cassé les couilles, cet appel-là. Je voulais qu’elle me dise : « Évidemment, le Docteur Gabriel Couture, écoutez Thetford Mines n’existerait pas sans son apport. Un personnage historique, monsieur. »

Et moi, j’aurais jubilé de plaisir, rougi de fierté. Quelle emmerdeuse, cette dame!

III

Couture. Je me suis longtemps demandé si j’aimais mon nom de famille. Couture. Quand on chantait Les rapides du Saint-Laurent, on se levait à « Les coutures sont faites de racines » et, macho direz-vous, moi, j’aurais préféré qu’on chante « Les Couture sont faits de racines. » Au masculin. Pis la couture, vous me direz que la couture est le point d’union entre deux tissus. Ca unit, une couture. Ben, je m’en fous. La couture, ça manque de virilité. J’avais un ami à l’école qui s’appelait Laterreur. Woh. Laterreur! Ca, ça en impose. Attention, voilà Laterreur, planquez-vous! Et moi en arrière avec un fil pis une aiguille comme nom de famille.

J’ai appris plus tard que l’origine de notre patronyme venait de coulture, pas cousture, comme Arlette, mais coulture comme culture. Et que ça n’avait rien à voir avec la culture générale mais avec la terre. Un cultivateur. Je sais que Guillaume, notre aïeul à tous, était apothicaire en Normandie avant de se pointer en Nouvelle-France mais il faut croire qu’il descendait lui-même d’un cultivateur. Bref, Couture.

Finalement, c’est mon Grand-Papa qui m’a donné la fierté de mon nom. Je porte Couture parce que je suis fils de Richard, petit-fils de Gabriel. Je porte mon nom comme un drapeau, avec déférence et fierté. Je porte mon nom en héritage, il m’enracine.
IV

On était assis dans la cuisine. Grand-Maman lavait la vaisselle, Grand-Papa était assis à la table. C’était l’automne 1986. Je me berçais à côté de la radio, Grand-Papa lisait le journal. J’avais 20 ans mais le souvenir est flou et ça me fait drôlement chier, je voudrais que tout soit clair, je voudrais qu’on m’hypnotise pour que je puisse le raconter dans le sens du monde, ce souvenir, mais non, du con, il me manque plein de bouts. A quel moment j’ai quitté la chaise berçante et je me suis installé près de Grand-Papa, je ne m’en rappelle pas. A quel moment il s’est mis à chanter, yeux bleu clair comme la Mer des Caraïbes, et ce qu’il a chanté, je n’en ai pas souvenir. Je me rappelle que j’éprouvais plein de tendresse et que je me sentais privilégié.

Je me rappelle que Grand-Maman l’écoutait en pleurant et qu’elle lui a dit après une quinzaine de minutes : « Arrête, Gabriel, tu vas te fatiguer. »

Je me rappelle que quelques mois après sa mort, elle m’a dit que ça avait été la dernière fois qu’il avait chanté. Et sa voix me manque encore.

V

Le mariage de Matante Louise. J’étais accompagné par une amie, Geneviève qui s’est plus tard mariée à Antoine Robitaille pour la petite histoire. Nous étions dehors au Château Bonne-Entente quand il est arrivé. Le Patriarche. Là, ce jour-là, alors qu’il sortait de la voiture, j’ai senti profondément en moi qu’il était plus que mon grand-père, il y avait chez lui quelque chose de monumental. Il était fort dans sa maladie à qui il disait : « Fais ce que tu veux demain mais aujourd’hui je marie ma fille. » Ca rendait humble et fier. Ca ajoutait une dimension à une célébration de l’amour, dans le fond.

Ses yeux étaient si bleus, son regard si déterminé, sa présence si forte. C’était plus qu’un père qui mariait sa fille, c’était un homme qui avait parié avec la mort et gagné. Je n’ai plus jamais réussi à le tutoyer après ça.

VI

Ca devait être en 1978 ou 1979, plutôt 1978. On habitait à Saint-Jean-Chrysostôme. Plutôt 79, finalement. On avait fait l’acquisition d’un berger allemand. Je crois qu’il y avait de l’husky aussi. Un beau chiot. Grand-Papa était venu à la maison, il ne venait pas souvent mais là, il était venu avec sa trousse de vétérinaire pour vacciner mon chien. Flic. Je dis mon chien, mais c’était le chien de toute la famille sauf plus à moi, na. C’est moi qui jouait avec et c’est moi qui ne ramassait pas sa marde.

Sa trousse. La trousse. Celle qui m’intriguait tellement. Il l’a piqué dans l’entrée et il a rempli des papiers. Il a même mis son stéthoscope sur son cœur. Mon grand-père, le vétérinaire en action. Ce jour-là, Grand-Papa est devenu mon héros. Il était le Docteur Doolittle et j’imaginais plein d’histoires avec lui sauvant des animaux. Peut-être 78, j’hésite.

VII

« Pocheton ». Trois petites tapes sur la cuisse et « Pocheton ». C’était ses marques d’affection. Je le sais même pas ce que ça veut dire « Pocheton ». Petite poche ? Il m’avait vu tout nu ou quoi? Oui, je sais qu’il m’avait vu tout nu mais quoi ? tu peux pas me traiter de petite poche parce qu’à trois ans, j’avais un petit scrotum. Hé! Ca se développe une poche!

Ca se disait sans « e » comme « Poch’ton » et ça ne m’insultait pas, j’aimais même ça, ça voulait dire « je suis content d’être avec toi. » trois tapes sur la cuisse, « poch’ton. », c’était un code. Comme avec l’Ordre de Jacques-Cartier, comme avec les Chevaliers de Colomb. Mon grand-père était un homme de codes.

Et je reconnais que j’ai peut-être une petite poche mais on en revient.

VIII

Avertissement

Je ne veux pas me faire corriger. Je ne veux pas savoir si ce que j’écris est vrai ou faux. Il y a de ces impressions, de ces images mentales imprégnées, qu’on préserve et dont la beauté nous réjouit. On se fait raconter des trucs, on remplit les trous, on altère l’histoire et ça crée les légendes, les épopées. Qu’un schtroumpf à lunettes quelconque vienne nous dire « c’est pas comme ça que ça s’est passé » et on n’est pas content. Vous croyez qu’Homère a raconté la Guerre de Troie en ne colorant pas un petit peu?  Et l’Ancien Testament, vous croyez qu’il n’y a pas eu de légers embellissements ?

J’ai mes histoires avec Grand-Papa qui appartiennent un peu au réel un peu au conte. Je vous les partage mais faites pas chier à me corriger, j’y tiens comme ça. A moins que vous ne vouliez les embellir à votre tour… Là, je deviens ouvert à la négociation.


Légendes

Le cercueil est installé au centre de l’église. Odilon et ses fils sont assis à la première rangée, silencieux. Des enfants tout propres, bien habillés qui comprennent mal la marde dans laquelle ils se trouvent. Odilon travaille là où il y a du travail et il n’a jamais eu à prendre soin des enfants. Le petit Gabriel pleure sa maman qui dort dans la boite, morte. Ce que ça veut dire exactement, il ne le comprend pas tout à fait. « Tu ne reverras jamais plus ta maman. », il sait que c’est long mais c’est combien de temps au juste « jamais plus »?

Sa tante Mabel vient le voir, elle s’assoit près de lui, lui caresse les cheveux. Petit homme, il pleure sans bruit. « Tu veux venir habiter avec nous ? » Il regarde le cercueil, il regarde sa tante. Il fait oui.

Ils sortent ensemble de l’église, elle lui tient la main, lui s’accroche à la sienne comme à une bouée. Il a perdu sa maman et il a gagné une nouvelle famille.

***

Une autre église. Le village de Lambton surplombe le grand lac. Du haut du presbytère, on voit jusqu’à la Rivière Sauvage, on voit les montagnes tout autour, le cœur des Appalaches. Il fait chaud, le ciel est sans nuage. Il faut refaire la toiture. Gabriel a un pinceau à la main et les choses avancent bien. On s’habitue à l’angle et on prend confiance. Il s’étire et s’éponge le front en sueur. Il sent qu’il a perdu pied, il cambre son dos et balaie l’air avec ses bras en sachant que ça va faire mal. Un petit cri de surprise, les autres autour de lui le voit perdre l’équilibre. « Gabriel ! »

Et il tombe, les yeux ouverts regardant le ciel, un petit instant. Compter un puis deux. Le choc de la terre. Conscient, incapable de bouger, il git sur l’herbe du cimetière et attend. Il s’est peut-être dit qu’il mourrait, peut-être pas. Pour avoir mal, ça, il a mal mais il n’a pas peur. L’herbe est fraiche, le ciel est bleu, il a toute la vie devant lui. La cause était bonne. Il regrette sa négligence, il aurait du faire plus attention, il est un beau maudit, au fond mais il se tait pendant que les autres l’entourent, consternés.

Bah! Il ne mourra pas aujourd’hui et il sait qu’il sera dorénavant celui qui est tombé de haut. On racontera sa mésaventure, on lui demandera des détails. Étendu dans l’herbe, souffrant le martyre, il se promet que ce n’est pas pour ça, cette chute stupide, qu’on se rappellera de Gabriel Couture.

***
La lune est haute dans le ciel et se reflète sur la neige qui tombe à gros flocons. Les collines et les vallées entourant la Chaudière sont d’un blanc immaculé dans cette nuit sans vent.

Dans ce calme hivernal, un étrange véhicule à la fois sous-marin, à la fois motoneige et à la fois avion de chasse brise la froide monotonie de février. A bord de cet étrange monoplace, le Docteur Couture sillonne la Beauce à la rescousse d’animaux en péril.

Cette nuit, une vache vêlera et le petit, arrivant par le bassin, voué à une mort certaine, coincé dans le ventre qui lui avait donné la vie, sera sauvé grâce au secours généreux de Gabriel et sa Gabmobile.

IX

Minogami, 1987, il y a vingt-cinq ans. J’étais moniteur explorateur –les explos étant les 10 à 13 ans-, on était parti camper de l’autre côté du lac avec notre dizaine de jeunes. Une fois installés sur le site, on s’est fait un feu et on a préparé le diner du groupe. Puis vers 1h00, dans les environs, le ciel devint noir. Un vent d’une force surprenante se leva, puis la pluie, forte et dense comme un rideau. Les éléments se déchainaient et la nature nous montrait sa vigueur. J’étais séduit.

Il y avait une grosse roche comme un promontoire sur le bord de la plage et je me rappelle que je suis monté dessus, les bras en croix, plus comme un savant fou que comme un dévot, accueillant la tempête et je trippais, je trippais, la pluie qui me tombait dessus avec rage et le vent qui bousculait, qui arrachait des arbres… Une demi-heure, facile, planté à m’émerveiller devant cette tempête majestueuse. Puis tout a cessé. Le ciel est redevenu bleu, l’eau sur le lac s’est remise à miroiter, je suis retourné vers ma tente pour me changer et là, j’ai entendu le bruit d’un bateau à moteur. On n’utilisait jamais de bateau à moteur à Mino. C’était Émile, mon vieux pote et accessoirement mon patron qui arrivait sur le site. Il a marché vers moi, l’air dramatique. Putain, qu’est-ce que j’avais fait encore ? « Éric, ton grand-père est mort. »

Je suis monté dans le chaloupe à moteur, je pleurais comme un bébé, à gros sanglots, il me tenait dans ses bras, Émile, comme quand on console un enfant. En arrivant au camp, j’ai vu des arbres abattus par la tempête et littéralement une petite rivière entre le ravitaillement et la cafétéria, deux moniteurs déconnaient en canot sur cette rivière éphémère qu’avait laissée la pluie.

J’ai toujours depuis associé ces deux événements : cette tempête mémorable dont on parle encore vingt-cinq ans plus tard à Minogami et la mort de Grand-Papa, survenue à peu près au moment où le soleil est réapparu. Tout ça, je sais, n’a sans doute rien à voir. Mais ça reste mon expérience mystique la plus intense, la plus insaisissable, l’au revoir de Grand-Papa.

Dans l’autobus, en direction de Québec, je regardais le soleil sur les Laurentides et j’écoutais La Mort de Siegfried de Wagner. Tout était beau et grand et triste.

X

Allez, bravons de toutes nos forces les rapides du Saint-Laurent!

2 commentaires:

  1. Minogami, 1987. J'y étais. Je me souviens d'un rouquin. Un peu zarbi le mecton. Pas toujours bien net, souvent dans les nuages à converser avec les muses. J'aimais bien cette façon d'être, d'être différent, pas conforme, un brin écorché. Puis l'été est arrivé à terme, fini, je me suis enfoncé dans le Parc de la Mauricie, plusieurs jours, seul. Je n'ai pas eu de tempête, mais j'ai pu communier avec cette nature exigeante et sentir combien l'humanité me manquait. Retour sur Québec et virée chez Éric, le roux. Étrange. Ces quelques heures, je me suis senti pas à ma place... puis je suis parti avec un goût d'amertume au fond de la gorge après une partie d'unihoc dans la rue. J'étais revenu vers une humanité bienveillante mais qui me semblait meurtrie. Je comprend mieux maintenant. C'était Gabriel ! J'aurais bien aimé connaitre Gabriel, un type qui me fait penser à mon Pépé Mathieu. Quand ce genre de type disparait, c'est sûr que le vide qu'ils laissent derrière eux laisse des traces...
    Mais chez nous, nous sommes moins téméraires. J'habite un pays de montagne et les orages sont sournois, quand ils éclatent mieux vaut s'abriter et attendre qu'ils passent. Pourtant nombre de fois je me suis trouvé en montagne sous l'orage, et toujours l'image de mon grand-père s'incrustait en moi.

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