jeudi 3 novembre 2011

Émile ou de l'éducation.

Salut Émile,

Tonton prend deux minutes –peut-être dix ou vingt, en tout cas – pour t’écrire, à toi, mon vieux. Je déteste Tonton. C’est une idée de ta maman, ça, Tonton. Eh bien! Tonton, c’est nul. Ca fait Téton, j’aime pas téton non plus. Je préfère Éric et grosse boule mais si toi, tu préfères, tu peux m’appeler Super Éric. Bref… C’est à toi que j’avais envie d’écrire. Pas à Gabriel, il est rendu au stade quand on lui demande « Comment ça va, Gabriel ? », il répond : « Rrrggrrr mmm ». Juliette. Elle, est trop petite. Tant pis. Alors, il reste que toi. Tant mieux, je t’aime bien. Pas que j’aime moins les deux autres, putain, faut toujours faire attention à ce qu’on dit. Mais je t’aime bien pareil.

Quel drôle de bonhomme tu es. Quand tu te mets à parler, blablabla, tu n’arrêtes plus une seconde. Faites le taire, faites le taire. Et quand tu te mets à bouder, tu entres dans ta tête et on ne peut plus te parler. Pas de demi-mesure, non.

Et je suis bien content que tu sois là. Tu sais que les chances étaient minces. Pratiquement nulles. Il a fallu qu’un spermatozoïde de Martin (encore heureux, tu vois qu’il y en avait quelques uns qui fonctionnaient) trouve l’ovule de Marie-Ève. Déjà, il a fallu que Marie-Ève accepte que le spermatozoïde de Martin, ce soir-là, puisse chercher son ovule parce qu’on se serait plutôt attendu à ce que le spermato de Martin trouve le fond du kleenex devant la télé du salon pendant que tout le monde était couché. Maman va t’expliquer ce que je viens d’écrire si tu as des questions.

Mais pas seulement ça, de tous les spermatozoïdes, il n’y en avait qu’un qui pouvait devenir toi. Et de tous les ovules de Marie, un seul pouvait être fécondé pour devenir toi. A tout autre moment, une seconde avant, une seconde après, le résultat aurait changé. Pour que tu sois, il fallait que ça arrive exactement à ce moment précis. Plus jamais nulle part au monde un autre toi ne réapparaitra. Tu es –et nous sommes tous- des miracles.

Il y a mieux, par exemple, comme chance. On grandit dans une famille, dans un environnement précis. Avec des parents, des frères et des sœurs, des grands-parents, des oncles et des tantes uniques, aussi. Qui nous parlent, nous collent, nous dorlotent, nous écoutent à leur façon et qui forment nos idées, notre façon de voir le monde. Tu comprends ça, n’est-ce pas? Marx disait que l’environnement… Laisse faire Marx, putain, t’as à peine dix ans. Tu liras Marx plus tard. Un petit enfant qui nait dans un pays pauvre ne mangera pas comme toi, ne sera pas élevé de la même façon que toi et n’apprendra pas la vie de la même façon non plus. Si tu habitais aux États-Unis ou au Mexique ou en Chine, tu n’aurais pas la même culture, la même idée du monde. Toi, tu es né ici, entouré de personnes qui t’aiment et qui l’expriment à leur façon, notre façon. Je peux t’écrire Je t’aime, je t’aime, je t’aime et je peux te faire une attaque de becs parce que notre société et, en particulier, notre famille, l’acceptent. De toutes les sociétés de tous les pays du monde, de toutes les familles de notre pays, le Québec, toi, tu es tombé sur celle-là et ça, crois-moi, c’est un autre miracle.

Et en plus de tout ça, Émile, il y a ton hérédité. Ca, c’est le bout de tes parents et de leurs parents et de leurs parents à eux aussi qui est en toi, c’est dans ton acide désoxyribonucléique. Je suis d’ailleurs très content d’écrire ce mot-là parce que les occasions sont rares, vois-tu. Les autres disent ADN, moi, je suis pas assez intime alors je l’appelle par son nom complet : acide désoxyribonucléique. Bref, comme ta maman est belle et ton papa est intelligent, ça te donne de bonnes chances d’être beau et intelligent à la fois. Et si tu dis à ton père que j’ai dit qu’il est intelligent, je te casse la gueule et je démens : Émile, c’est qu’un menteur. Ta maman aussi est intelligente mais comme une fille, là. On se comprend. Elle réfléchit bien et tout puis elle se regarde dans le miroir et se met à pleurer parce qu’elle a pris deux livres. C’est pas tout à fait le même type d’intelligence… C’est de l’intelligence poupoune. Nous, les mecs, on est toujours intelligents sauf en présence des poupounes. Dur. Dur.

Enfin, tout ça pour te dire que toi, ton frère et ta sœur, vous êtes bien chanceux d’être tombés là. Et qu’on est bien chanceux et surtout bien contents que vous y soyez tombés. Tout ça pour te dire, mon Émile de malcommode que je t’aime très fort et que j’ai hâte de te voir. Et je signe : Super Eric.

Oh! J’oubliais : Donne deux gros becs à ta maman et souhaite-lui un joyeux anniversaire de ma part. T’oublie pas de lui dire que je l’aime. Allez, salut, mon vieux.

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